" Le Laché" par Yves Delnord "entre autres"
Le Laché
INITIATION AU TIR SUR CIBLES :
« Le Lâcher »
La tenue de l'arme et le lâcher La prise en main de l'arme mérite peu de développements. Un pistolet (ou revolver) de tir sportif doit être tenu fermement, sans crispation, avec la crosse bien enfoncée dans le creux de la paume et dans le V formé par le triangle du pouce. Pour obtenir un bon positionnement de l'arme dans la main, il est recommandé de prendre l'arme par le canon avec la main faible (celle qui ne tire pas) et de la placer dans la main forte (main de tir). L'arme est tenue entre la paume et le majeur et l'annulaire. Le pouce est appuyé latéralement et sert à la stabilisation de l'arme. Les crosses des armes de sport ont une moulure spéciale pour permettre l'appui du pouce. L'auriculaire est simplement "compagnon" de l'annulaire avec les crosses match. Il joue en revanche un rôle particulier dans la tenue des revolvers classiques. Ces revolvers ont en effet une crosse beaucoup plus mince et plus courte que celle d'une arme de match. Si la crosse est tenue trop haut, l'index n'est pas en bonne position pour faire un lâcher rectiligne. La crosse du revolver doit donc être tenue assez bas pour que l'index se contracte dans l'alignement de la course de détente, sans remontée vers le haut. Dans ce cas, l'auriculaire se retrouve tout naturellement replié sous la crosse. La plaque appui paume réglable située à la base de la crosse doit venir au contact de la main et presser doucement celle-ci sans toutefois "écraser" la main. Après une heure de match, le tireur ne doit pas avoir une rougeur anormale de la main, ni de fourmillements ni aucune sensation de douleur. Là encore, la bonne position est celle qui est assez confortable pour être conservée tout un match et reproduite à l'identique à chaque saisie de l'arme. Certains tireurs passent des heures à sculpter leur crosse, enlevant un peu de matière ici, remettant un peu de pâte époxy ailleurs. Cette pratique se justifiait il y a quelques décennies quand les armes étaient livrées avec un seule dimension de crosse standard et non réglable. De nos jours, sculpter sa crosse est toujours (parfois...) utile pour le pistolet "libre", les crosses enveloppantes de ces armes devant être comme "moulées" sur la main de chaque tireur. Pour les autres disciplines, les armes de match sont proposées avec plusieurs tailles de crosse (au minimum junior et adulte, en général cinq à sept tailles différentes) et la plaque appui paume réglable s'est généralisée. Les crosses d'origine sont en général d'excellentes qualité et certains fabricants proposent en outre des crosses de rechange prête à monter . Le bricolage personnel de la crosse ne se justifie donc plus, sauf pour les crosses enveloppantes des pistolets libres. En revanche, tous les tireurs vérifient que lors de l'acquisition d'une nouvelle arme de match, il faut un temps assez long (environ un millier de cartouches) pour s'habituer à la nouvelle crosse. La main "prend ses habitudes", et pour en changer il faut être patient : à partir d'un certain niveau, on ne change pas d'arme sans planifier soigneusement ce changement sur sa prochaine saison de tir. On peut considérer que l'on a apprivoisé une nouvelle arme quand on réussit de nouveau le test de la visée en aveugle : le tireur étant en position bras "en bas" (45° de la cible), il ferme les yeux, monte le bras, et ouvre les yeux quand il estime être en position de visée "parfaite". On doit au minimum être dans la cible (C10 ou C50 selon les cas). Les erreurs doivent être corrigées en changeant de position : • erreur systématique répétée vers la droite ou vers la gauche : changer la position du corps (angle des pieds par rapport à la direction de la cible) • erreur parallèle verticale : monter ou descendre le bras • erreur angulaire verticale : modifier l'inclinaison du poignet Il est important d'automatiser la prise de position (voir chapitre sur ce sujet). Ce n'est qu'après avoir fait ce travail d'adaptation et d'apprentissage pendant plusieurs semaines que le tireur pourra, s'il l'estime encore nécessaire (tenue de l'arme stable mais inconfortable par exemple), envisager de modifier ou de changer la crosse de son arme. Le lâcher Le lâcher est un acte complexe. Le tireur débutant croit qu'il s'agit simplement d'appuyer sur la détente pour libérer le percuteur et faire partir le coup, mais c'est beaucoup plus que cela. Le lâcher est un geste d'une très grande délicatesse qui doit amener la détente vers l'arrière en exerçant sur celle-ci une force supérieure au poids de détente, sans perturber l'alignement stabilisé construit par la visée. Bien entendu, plus le poids de détente est élevé, plus la détente est "dure", et plus le bon lâcher est difficile à obtenir. Ceux qui pratiquent plusieurs disciplines savent bien que le lâcher sans coup de doigt est à réapprendre pour chaque type d'arme. Un pistolet de match "gros calibre" a un poids de détente de 1360 grammes, un pistolet standard est réglé à 1 kg, un pistolet 10m à air a un poids de détente de 500 grammes, et un pistolet libre peut avoir un poids de détente allant de quelques grammes (18 gr sur un Hammerli 150 que j'ai pratiqué) à 100 grammes environ. La légèreté de la détente a tout de même des limites (en dehors des aspects sécurité). Les pistolets libres n'ont pas de poids minimum imposé, et en pratique on peut, au moins sur certains modèles, descendre le poids vers 15 grammes. L'expérience montre qu'un poids aussi réduit pose un vrai problème d'apprentissage pour éviter les lâchers involontaires avant la stabilisation de la visée. Personnellement je trouve que le poids de détente le plus facile à contrôler en libre se situe vers 100 grammes. Dans tous les cas, le lâcher est un mouvement longitudinal de l'index vers l'arrière, dans l'axe de l'arme. L'appui se fait avec la dernière phalange, presque au bout du doigt. Le mouvement est régulier, sans à coup, sans "pompage" sur la détente.
Le lâcher volontaire consiste à appuyer franchement et jusqu'à obtenir le départ du coup sur la détente dès que l'oeil perçoit une visée parfaite. Le tireur guette les oscillations et tente de synchroniser le lâcher avec le moment où la visée semble bien alignée sur le visuel de la cible. Le premier défaut de cette méthode est lié au temps de réaction de notre appareil sensori-moteur : entre le moment ou notre oeil perçoit un certain signal et le moment ou un geste "réflexe" de l'index va être fait, il s'écoule un temps incompressible d'environ 200 millisecondes. Si l'on ajoute à cela un temps d'analyse consciente du signal et de prise de décision volontaire et d'action sur la détente, on arrive à des temps de réaction de l'ordre de 5 ou 600 millisecondes. Un temps aussi long va à l'encontre du principe du lâcher volontaire qui voudrait que la balle quitte le canon exactement au moment ou la visée parfaite est perçue. Le second défaut du lâcher volontaire vient du fait que si le poids de détente n'est pas négligeable, le tireur dans son désir de ne pas rater le bon moment pour lâcher va "écraser" la détente, induisant inévitablement un mouvement de l'arme. Au lieu d'exercer avec la dernière phalange de l'index une pression régulière progressive, parfaitement longitudinale dans l'axe de la ligne de tir et de la course de détente, le tireur a tendance à pousser avec la paume tout en tirant avec le doigt. Le résultat en cible est visible, avec des impacts qui partent vers le haut (cadran midi-2 heures). En disciplines de précision, le seul lâcher vraiment payant est le lâcher surprise . Il s'obtient par l'entraînement en construisant un réflexe sensori-moteur qui va déclencher la phase finale du lâcher lorsque l'oeil perçoit une visée stabilisée. Dès la prise de cible (bras à peu près stabilisé vers la cible) le doigt commence à exercer une pression continue et croissante sur la détente. L'augmentation de la pression se stabilise à un palier juste en dessous du poids de détente, et donc du départ du coup. Sur une arme avec détente à bossette, le palier correspond tout simplement à la pression limite de cette bossette. Sur un pistolet libre le palier correspond à une pression nulle ! A ce moment, le tireur focalise son regard et son attention sur le guidon. L'augmentation finale de pression qui provoquera le départ doit être déclenchée par l'image de l'alignement stable et sans erreur angulaire, sans y penser, c'est à dire sans décision volontaire réfléchie. En revanche, si après quelques secondes le tireur ne perçoit pas une image de visée stabilisée sans erreur angulaire, il ne doit pas lâcher quand même. Dans ce cas, tout à fait volontairement, l'esprit conscient reprend le contrôle : on décide de ne pas lâcher mais de reprendre à zéro la séquence de tir. La séquence du bon lâcher est donc la suivante : 1. Le bras monte en cible. Dés qu'il est à peu près stabilisé, l'index commence la pression sur la détente. Cette pression doit croître jusqu'à atteindre la limite de la première bossette, ou pour une détente sans bossette une pression inférieure de quelques dizaines de grammes au poids total de détente. Pendant cette phase, le tireur porte son attention sur cette pression, pour atteindre le palier en évitant un lâcher involontaire prématuré.
2. La pression étant stabilisée, toute l'attention se porte sur le guidon. On guette deux choses : absence d'erreur angulaire perceptible et stabilisation des oscillations parallèles. 3. Les oscillations étant stabilisées, l'index "sans y penser" accentue la pression et le coup part. "Sans y penser" signifie ici que l'attention est restée focalisée sur le guidon : le lâcher final se fait sans penser à contrôler la pression sur la détente, et bien sur sans porter le regard sur la cible. Dans la phase trois, le tireur est tout entier "sur le guidon". Il est donc surpris par le départ, c'est pour cela que l'on parle de "lâcher surprise". La séquence complète dure entre trois et dix secondes : trois secondes en standard (passe de 20s), une dizaine maximum en tir de précision. Si au bout de dix secondes de visée l'image de visée n'est pas satisfaisante, il faut impérativement baisser le bras, se détendre et tout reprendre à zéro. Après dix secondes, l'attention baisse, la musculature se fatigue, et les oscillations ne peuvent que s'amplifier. En précision, le bon tireur ne tire pas "malgré tout" : ou l'image est parfaite (pas d'erreur angulaire, oscillations à peu près stabilisées) et on lâche; ou bien l'image n'est pas parfaite après quelques secondes et on pose. Tirer malgré tout est la pire des attitudes. Passer du lâcher volontaire au lâcher surprise suppose des semaines d'entraînement et plusieurs milliers de cartouches ou de plombs tirés. Nous verrons dans le chapitre consacré aux méthodes d'entraînement que le tir à sec est très précieux pour construire ce réflexe. En vitesse olympique et en séquence 10s standard, les principes de la visée et du lâcher sont un peu différents, nous y reviendrons dans les sections consacrées à ces disciplines. Analyse et annonce Lorsque le coup est parti, le tireur débutant souffle, laisse son bras descendre, se prépare au coup suivant ou discute avec les voisins. C'est l'assurance de ne pas progresser ou de ne progresser que très lentement et irrégulièrement. En effet, il existe un grand principe du fonctionnement de notre cerveau : l'apprentissage suppose la connaissances et l'analyse des résultats. Ceci est tout particulièrement vrai des apprentissages réflexes sensori-moteurs. Un apprentissage sensori-moteur est fondé sur une boucle de rétroaction (feedback loop) : Immédiatement après le départ du coup et sans changer de position, la séquence visée - lâcher est soigneusement analysée : étais-je stable, bien en cible, comment était mon image de visée, le lâcher a-t-il été net ou y-a-t-il eu coup de doigt, etc. Au terme de cette analyse qui peut durer deux ou trois secondes, je dois prévoir (sentir, pressentir) où est exactement mon impact sur la cible : c'est l'annonce, la prévision mentale du résultat en cible, résultant elle-même de l'analyse kynesthésique du tir qui vient d'être fait. Je sais que j'ai fait une petite erreur angulaire verticale (poignet mal verrouillé),
mon impact sera à 6 heures, probablement dans le 7 ou le 6. Ou bien : je sens que j'ai lâché pendant une oscillation latérale de mon corps (fatigue ? tenue trop prolongée ? lâcher prématuré ?) et je sais sans avoir besoin de voir l'impact que celui-ci sera à 9 heures dans le blanc. C'est seulement lorsque cette analyse du coup tiré est faite que je peux souffler, relâcher la position et confirmer l'annonce par l'examen de l'impact réel (les cibles électroniques et les rameneurs électriques facilitent bien les choses). En répétant cette boucle tir - analyse - annonce -confirmation des milliers de fois, nous allons renforcer les bonnes positions, les bons gestes et construire un arc réflexe efficace. Un bon tireur annonce bien. En règle générale, l'examen de la cible ne fait que confirmer ce qu'il sait déjà, un résultat annoncé. Il est parfois surpris par une balle "perdue dans le blanc" et non annoncée : c'est le "flyer", le tir foireux que l'on ne s'explique pas. Un flyer sur 60 balles... normal, tout le monde n'est pas Dumoulin... Plusieurs flyers sur un match... hum, il est urgent de reprendre son plan d'entraînement et de contrôler ses munitions.
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